Sortir de l'autisme by Rey-Flaud Henri

Sortir de l'autisme by Rey-Flaud Henri

Auteur:Rey-Flaud, Henri [Rey-Flaud, Henri]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion
Publié: 2016-04-13T22:00:00+00:00


La relève des « lignes d’erre »

Quand l’espace remplace le temps

Deligny fit l’observation que les enfants autistes qu’il accueillait à Monoblet, laissés libres de leurs mouvements tout au long des jours, effectuaient dans l’espace qui leur était ouvert des trajets qui semblaient fixés par quelque programmation mystérieuse, les « lignes d’erre » (du latin iterare, « prendre la route » et non pas platement « errer »). Il entreprit alors d’établir le relevé de ces parcours qu’il reporta sur des calques, dont la superposition fit apparaître que ces tracés se recouvraient ou se recoupaient en des points qu’il appela « chevêtres ». On reste aujourd’hui désemparé devant cette collection de cartes rassemblées avec constance pendant plusieurs années sans avoir jamais été commentée par Deligny. N’est-il pas possible de tenter une interprétation ?

À la différence des animaux sauvages en captivité, qui effectuent éternellement tout au long du jour le même parcours à l’intérieur de l’espace qui leur est attribué, l’autiste, à travers ses parcours indéfiniment répétés, s’approprie celui qu’il balise. Ses trajets immuables traduisent sa volonté d’assurer la permanence du monde, mais aussi de s’inscrire lui-même dans ce monde en construisant un espace « territorialisé » qui lui permettra de ne pas disparaître dans le néant.

Dans le monde « civilisé », la standardisation de l’espace, effaçant les différences et les singularités, a « déterritorialisé » les hommes dans un milieu devenu homogène, anonyme et atone, tel celui de l’Alphaville de Jean-Luc Godard. Ce qui ne dérange en rien les individus que nous sommes, tous formatés selon les mêmes normes. En revanche, l’autiste, incapable de recevoir et de partager les signes de l’Autre, est perdu dans cet univers où la prolifération de l’imaginaire a saturé le réel. C’est pourquoi il entreprend un travail de symbolisation singulier pour inscrire avec ses « erres » son être dans l’espace.

Faute des repères temporels qui construisent l’histoire de l’homme normal, l’autiste construit avec son corps, par ses déplacements, des repères spatiaux qui marquent la répétition non pas de l’identique (comme chez l’ours en captivité) mais d’un « même » rudimentaire. Sur le défaut de l’éternel retour du temps qui donne un rythme à notre vie psychique (les alternances jour/nuit, le cycle des saisons15), il inscrit avec ses trajets des retours spatiaux qui lui permettent d’assurer sa permanence. À travers ses arabesques énigmatiques, sur le défaut de l’abscisse du temps, il se retrouve lui-même, en construisant sur les coordonnées de l’espace une identité individuelle minimale qui le sauve de l’abolition.

Inspiré par son expérience de résistant, Deligny, tirant la leçon de ces « erres », s’est employé à mettre en place à l’intention des patients insolites qu’il accueillait un mode original de prise en charge : les « réseaux ».

Les « réseaux »

Lorsque l’État s’est défait, que les états-majors ont disparu, qu’il n’y a plus d’armée, de police, d’administration, en un mot tout ce qui donnait corps à la Cité, alors se constituent, comme on le vit à une époque douloureuse de notre histoire, les réseaux, sur le



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